Corée du Sud

Voyage au pays du matin frais



SEOUL

A perte de vue un enchevêtrement de tours, de routes, de ponts forme une jungle de béton et d'acier noyée dans la grisaille. Plus de vingt millions d'humains grouillent là-dessous, agglutinés dans les embouteillages, dans les hyper-marchés, dans les métros,
dans les ascenseurs des gratte-ciel.

Cette nuit, une fine pellicule de neige a drapé Séoul. Sous le ciel lavé, un voile de gaz carbonique et le vrombissement sourd d'une ville qui ne se repose jamais. Du sommet de la tour de Namsan, on s'exalte de dominer pour quelques instants cette terrifiante ruche (avant d'y replonger). Mélange de fascination et d'effroi. Le sentiment d'une fuite en avant collective.

Seoul

21 décembre 2009 : rafales de vent et giboulées, il fait -17 degrés à Séoul. Pourtant la métropole vibre jour et nuit. Les bazars débordent, les quartiers commerçants fourmillent dans la blêmeur des néons. Marmitons ambulants perdus dans la fumée des grillades, vieilles revendeuses de camelote emmitouflées des orteils au chignon. Armées de mégaphone des rabatteuses harcèlent les minettes qui se trémoussent devant les vitrines de cosmétiques ; consumérisme exacerbé jusqu'à l'outrance. Partout restaurants et fast-food affichent leurs mets en fresques baroques. Tout est impétueux, incandescent, kitch, saturé. A intervalles réguliers les bouches de métros lâchent des flots de pendulaires encravatés et des grappes d'étudiants en goguette. Autodiscipline et formalisme dans la précipitation - Confucius détermine encore et toujours les comportements. Les souterrains d'accès aux trains sont autant d'interminables galeries marchandes envahies par la foule. Isolés et oubliés dans quelque passage sous-voie glacial, les laissés-pour-compte de la nouvelle société sud-coréenne se sont fabriqués des couchettes en carton pour se protéger du froid.

bazar coréen

rue nocturne

megalopole

FRÉMISSEMENTS



Grand corbeau du Gaya, héron blanc du Nakdong, canard mandarin du fleuve Geum.
Et l'affût fébrile de la pie, au coeur de Séoul.


Gongju, dans le matin glacial, un chien alerte et une statuette dans un jardin. Sourire narquois, mains posées sur le ventre, à l'instar des harubang de l'île Jejudo elle accorde protection et fertilité à la famille qui l'a adoptée. Ce matin-là, en matière de protection, le chien était sans doute plus efficace qu'elle.



J'ai atteint le sommet de la montagne qui abrite la tombe du fondateur de Gu-in-sa, grand sanctuaire bouddhiste. Silence végétal. Vêtus d'ample tunique grise, moines et nonnes montent s'y recueillir en marquant leur passage d'une pierre.


Nous avons traversé cet après-midi le pittoresque Weolyeonggyo, le « pont du Clair de lune » qui franchit le fleuve Nakdong. Au coucher du soleil il fait un froid paralysant et l'autobus pour Andong tarde.



Sur le sentier qui serpente les flancs du mont Gaya au-dessus du monastère Haeinsa. Au fil des pins bruissant dans le vent, tout seul, j'accède bientôt à une délicieuse clairière où s'élève un grand Bouddha sculpté dans le roc il y a 1200 ans.


Danyang, sur une esplanade qui surplombe les méandres de la rivière Namhangang. un mystérieux mémorial. J'étais venu ici pour un voyage en ferry, mais la rivière est gelée.


Crépuscule sur une banlieue sud de Séoul. Tous les immeubles sont estampillés d'un numéro géant et la plupart affichent le logo des grands conglomérats coréens ou chinois
qui ont bâti le quartier.

VISAGES



Ni Chinois, ni Japonais, les Coréens sont les descendants de tribus venues des steppes d'Asie Centrale et de Sibérie au néolithique. Longtemps enfermés dans leur « royaume ermite » sous le joug des empereurs chinois, ils sont aujourd'hui un peuple hospitalier au tempérament tonitruant. A la fois sensibles et sanguins, c'est un peu les Sardes de l'Extrême-Orient.









TRADITIONS


Le magnifique syllabaire coréen. Conçu et officialisé par le roi Sejong en 1442, le hangeul va peu à peu remplacer l'écriture chinoise utilisée depuis l'Antiquité. Pour le débutant francophone, maîtriser les 24 caractères de cet alphabet prend deux jours au plus, reste ensuite à s'atteler à la syntaxe et au sens des mots !



«Bibimbap», littéralement «riz mélangé», l'un des plats populaires parmi l'inépuisable choix de spécialités locales. On y ajoute de la sauce au piment rouge, on touille soigneusement et on attaque à la cuillère. En Corée, chaque mets est escorté d'un tonique assortiment de hors-d'ouvre dont le porte-drapeau est le kimchi de chou.



Au restaurant Gomanaru de Gongju, près de vingt panchan accompagnent le bulgogi qui mijote sur la table. On dîne sur le ondol, un plancher chauffant, en tailleur, et on arrose le festin
de soju, un alcool de riz ou de patate.




Si la ville de Daegu surpassent toutes les autres cités coréennes en matière de racines médicinales, de bois aromatiques et de baies improbables, la petite bourgade de Danyang, elle, possède ses caresseurs de cailloux. Des hommes qui polissent patiemment la pierre jusqu'à y voir dans ses stries ici une rivière, là un oiseau...




Une toute petite bonbonnière en argent, magnifiquement ciselée. On y distingue des dragons, des phoenix, des fleurs de lotus. Les premiers souverains coréens, pétris de shamanisme et de confucianisme, viennent de se convertir à une fascinante nouvelle religion venue de Chine : le bouddhisme. Nous sommes en l'an 384.


Hahoe est une sorte de réserve, un village-musée préservé par le gouvernement. Quelques familles y cohabitent nonchalamment pour le plus grand plaisir des citadins et autres touristes curieux de découvrir la Corée folklorique d'autrefois.

LOINTAINS


Le paysage hivernal coréen et sa houle de montagnes grises semble abattu. Bardé de routes, tissé de fils électriques, labouré au bulldozer, il est souvent monotone, terne et déprimant. Mais parfois, au détour d'un chemin, le voyage vous accorde
quelques instants de ravissement.

Danyang et la rivière Namhangang


Plaine de la région de Namhu-Myeon, au centre du pays


Tumulus d'une tombe royale, Gyeongju

VERTIGES

Lorsqu'ils mouraient, les autocrates de la première dynastie coréenne étaient traités en véritables pharaons. Dans la chambre funéraire du couple royal Muryeong, la seule qui ait échappé aux pillards pendant 1500 ans, on a découvert un éblouissant trésor : diadèmes d'or, miroirs et chaussons de bronze, sabres. A l'entrée de l'obscur tombeau de briques une épitaphe dévoilait, pour la première fois dans l'histoire, le secret de ses occupants.


Paru en 1377, voici le premier livre du monde (un traité bouddhique) imprimé avec des caractères mobiles en métal, 75 ans avant notre brave Gutenberg qui doit se retourner dans sa tombe depuis cette exclusivité coréenne. En fait, celui-ci est une réplique, l'original fut ramené en France par un diplomate collectionneur (et voleur), Victor Collin de Plancy ; il est aujourd'hui encore à la bibliothèque nationale de Paris.


Dans le cimetière des rois à Gyeongju, des arbres noueux se déploient autour des gigantesques tumuli. A l'intérieur des tombes, les archéologues ont excavé en 1973 des bracelets, des céladons, des couronnes et des repose-tête mortuaires qui ont révélé la sublime délicatesse des artisans de la dynastie Silla (668-918).




Pour conjurer le mauvais sort qui s'abattaient sur eux depuis quelques temps (invasions mongoles, coups d'états, révoltes paysannes, pirates japonais) les moines coréens vont s'atteler en 1236 à un travail titanesque : graver l'intégralité du Canon Bouddhique sur des planchettes de bois. Seize ans plus tard, 81'258 tablettes sont classées et abritées avant d'être transférées au monastère Haeinsa où elles se trouvent encore aujourd'hui. C'est la plus grande bibliothèque de bois du monde, le Tripitaka Koreana. L'accès aux entrepôts et les photos y sont interdits, mais en voici une quand-même, discrètement volée au petit matin.


Nous arrivons à Daegu. La ville, comme tant d'autres, est entourée de serres - il faut bien nourrir cinquante millions de Sud-Coréens. Durant ces dernières décennies l'ultralibéralisme triomphant et le bétonnage outrancier ont anéanti une grande partie des terres arables. En 2008, la filiale agroalimentaire de Daewoo, une multinationale coréenne, a signé avec Madagascar un accord pour louer là-bas 1.3 millions d'hectares de terres agricoles.

ESPRITS

Haeinsa ou « le temple de l'océan de méditation »



Spontanément, une jeune Séoulite anglophone m'a accompagné dans le complexe monastique Guinsa. A l'arrière du grand temple aux tuiles d'or, l'eau d'un petit robinet a, paraît-il, guéri les maux d'estomac de sa maman. Après m'en avoir offert une coupelle, ma guide m'invite à m'incliner plusieurs fois aux pieds du Bouddha.

LOVE MOTELS


Désuets ou futuristes, les love motel coréens sont une expérience en soit : ils sont économiques, rigolo et bien équipés - ordinateur privé, cosmétiques, tv, frigo, chauffe-eau. On y croise des couples qui y passent une heure ou une nuit et des hommes appâtés par les cartes de visite suggestives déposées le soir sur le perron.


ITINÉRAIRE




Quand les baleines dansent
les crevettes trinquent


proverbe coréen


Quelques liens

- Yi Ch'ongjun, Les Gens du Sud (magnifique récit vagabond dans la Corée d'autrefois)

- Yi Munyol, L'hiver, cette année-là (idem)

- Kim Young-Ha, L'Empire des Lumières (un roman haletant bourré de données socio-historiques)

- Jean Piel, Corée, tempête au pays du matin calme (portrait de la Corée du Sud contemporaine écrit par un diplomate français)

- Nicolas Bouvier, Les Chemins du Halla San (un régal)

- Hendrik Hamel, Relation d'un naufrage d'un vaisseau hollandais sur la côte de l'île Quelpaert (le séjour coréen forcé (15 ans!) d'un équipage de marchands européens qui s'échouent accidentellement sur Jejudo en 1628)

- Kim Ki-Duk, Samaria (un film cru et sincère, réalisé par un jeune prodige du cinéma coréen)

- Kim Ki-Duk, L'Île (superbe, violent, déstabilisant)

- Kim Ki-Duk, L'Arc (très beau poème esthétique pour un huit-clos lacustre)

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